vendredi 2 juillet 2021

Sortie du numéro 10 des Cahiers européens de l'imaginaire : la nuit

Très heureux de publier à nouveau un texte dans la belle revue Cahiers européens de l'imaginaire du CNRS dédié à La Nuit

J’y publie pour la 3e fois, aux côtés de gens de talents de l’astro-poète Jean-Pierre Luminet à l’oniro-archéologue @whatisalt236 !

Jusqu'à ce que nos pouces soient des pierres, texte hommage aux héros Jean-Paul Clébert & Jacques Yonnet !



JUSQU'À CE QUE NOS POUCES SOIENT DES PIERRES (extrait ) 


Sous la terre, la faible lueur d’une lampe éclairait le visage de l’homme éveillé. À ses pieds, emmitouflés dans des couvertures et des cartons : cinq ou six autres dormaient. Ou écoutaient peut-être les yeux fermés. Ils cherchaient le sommeil dans la litanie sans fin du causeur désigné. Sentinelle fatiguée, que les mots tiennent plus réveillée qu’un fond de café ; à l’affût des poulets, des chiens ou de la fauche.

La pluie nous a débués et lavés, Et le soleil desséchés et noircis ; Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés, Et arraché la barbe et les sourcils. Jamais nul temps nous…. 

Jacky, tu ne respectes pas les règles.

L’ombre de Jean-Paul s’agita sous les oripeaux qui tranchaient avec les couvertures de l’armée du salut. Il se rapprocha de Jacques et seul son visage était visible dans la lumière de la torche électrique suspendue. 

On avait dit seulement personnels. Aucune fiction, que de vrais souvenirs. Usés ou empruntés. 

Si Villon ne vous convient pas, je ne vois pas pourquoi rester.

Allez, continue à raconter mon Jacky. Faut bien que l’un de nous reste éveillé pour surveiller. Mais si tu veux, on échange ? 

Jacques Y. secoua la tête. Se leva difficilement, engourdi par la nuit et le froid qui s’infiltre même ici, dans ses sous-sols sans fin des Halles parisiennes. Où les parties abandonnées du parking coexistent avec  le reste dans un abysse de béton aride. Jacques fouilla dans une valise à roulettes et en sortit plusieurs livres. Il rapporta un exemplaire de nouvelles de Stevenson. Sous les couches de vêtements et son petit calot de feutre, on devinait la maigreur de ses traits.  

Je sais que c’est la règle Jipé. Mais quand tu as tout perdu, il ne reste que les histoires pour se rassembler. C’est le seul bien que l’on peut offrir à ceux qui partagent un morceau de fromage ou une gorgée de picrate. 

Très bien mon ami. Mais il me semble que nous nous étions jurés de ne raconter que des histoires vraies. 

Croyez-moi, je me sens taché ! Et vous avez bu et mangé à ma table. Maintenant j’en ai assez de vous, le jour est venu, et l’oiseau de nuit doit retourner à son nid. 

Un logement pour la nuit. Toujours Villon.

Jacques Y. acquiesça et referma le livre qu’il tendit à son ami. Jean-Paul commença à en déchirer les pages qu’il entassa dans un carré de briques et de cailloux noircis. Il sortit d’une poche, une boîte d’allumettes écrasées. 








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